Je n'ai aucune idée de tout ce qui se passe dans sa tête alors que nous discutons et du grand nombre de questions qu'il se pose, je n'ai pas le pouvoir de lire dans les pensées. J'essaie simplement de dire ce qui me paraît juste avec le peu que je sais de lui. Notre amitié est récente, on ne peut pas tout savoir de l'autre, puis chacun fonctionne à sa façon, dans notre cas, je ne comprenais plus la sienne les dernières fois où l'on s'est vu. Il s'excuse encore tout bas et me remercie, j'espère que mes propos l'ont un peu soulagé. Ce soir j'ai découvert un autre point commun entre nous deux, il semble avoir aussi fait face aux regards des autres qui ont changé à plusieurs reprises quand ils l'ont su, c'est pareil que ceux qui tombent sous ce maudit charme qui est le mien. Comme il m'a dit ne pas vouloir en parler, je ne chercherai pas à deviner ce que c'est, par respect pour lui.

De nouvelles excuses sont prononcées, j'ai la sensation que j'ai dû y aller un peu fort ce soir. Mais je préfère nettement qu'il reconnaisse ses torts comme j'ai un peu commencé à le faire avec les miens, en suivant le chemin de l'honnêteté qu'il a tracé, tout du moins autant que je le peux. Raconter les problèmes que j'ai à cause de mon visage, évoquer cette attirance physique, ce n'est pas dans mes capacités actuelles. Le risque est trop gros. Tout ce qu'il me dit ensuite me touche, c'est ce qui me motive à me remettre debout et à retourner près du lit. Un genou sur le matelas, je me penche afin de passer mes deux bras atour de ses épaules.

"Je suis désolé de t'avoir causé du souci et merci d'être sorti me chercher."

Quelques secondes passent, pendant lesquelles je souhaite que cela suffise à conclure cette totale réconciliation. Mon esprit se sent un peu soulagé malgré mes péripéties des derniers jours, enfin pour le moment. Je le trouve un peu chaud encore, la fièvre n'a pas l'air décidé à partir. Mes bras se desserrent, je finis par le regarder, avec un léger sourire qu'il ne peut pas voir, enlevant mon genou du lit pour me mettre à en appui sur les deux au sol, les fesses sur mes talons.

"Ça me fait plaisir tout ce que tu viens de me dire. Je ne te demande pas de changer, je pense un peu mieux comprendre tes réactions à présent que j'ai eu quelques éclaircissements. Peut-être que tu pourrais simplement me le faire savoir plutôt que de te braquer et j'essaierai de faire pareil ?"

Il n'y a pas de raison qu'il soit le seul à mettre du sien dans notre amitié. Après il faudra que je cesse de l'ennuyer, qu'il se repose encore et se mette au chaud. Ma mère doit se demander ce que je fabrique aussi, ce qu'il y a sur le plateau devra être débarrassé et possible que je réussisse encore à m'endormir un peu. J'ai également un peu faim, en bas, je regarderai s'il ne reste rien à me mettre dans l'estomac.  Mes bras se posent à sur le matelas, mon front vient s'appuyer contre mes mains et mes yeux se ferment.

"Byulie, est-ce que je peux…?" Faisant référence à mon hypothèse de ce que j'attendais de lui, à savoir pleurer contre lui. "Enfin… Ne te forces pas non plus, je n'ai pas envie que tu te sentes encore mal à l'aise..." Dis-je assez bas.

Je me trouve idiot là… C'est incompréhensible même pour moi de savoir pourquoi je tiens autant à ce que ce soit lui. A fleur de peau, complètement lessivé, je sens que mes émotions vont finir par sortir comme un torrent incontrôlable et que je risque de l'obliger à me donner ses bras, ce qui irait contre ce qui a été dit ou fait jusquà' présent. Il va falloir que j'apprenne à gérer cela, que je me mette dans le crâne que je ne peux pas me montrer aussi proche physiquement avec tous mes amis, ou plutôt que Han Byul n'est pas de ceux qui aiment. Je crains surtout d'être bien désespéré tout de suite, mon visage finit par se tourner à l'opposé. Certes je serais un peu déçu, mais ce n'est pas bien grave, on vient à peine se réconcilier, je n'ai pas du tout envie que ça parte dans le mauvais sens. La motivation m'a temporairement quitté, mes pensées sont encore trop remplies de ce qui s'est passé durant les jours où personne ne sait où j'étais. Je ne fais même pas attention que, dans cette position, mon col-roulé s'est décollé de ma peau et dévoile sur elle des marques de strangulation. Dans un sens, c'est probablement une bonne chose qu'il n'ait pas vu à quoi je ressemble dessous, lui qui tient à moi, il n'aurait pas été capable de l'oublier et cela l'aurait peiné encore plus. C'est pour ça que je ne veux rien montrer ou dire à mes parents. Je n'en reviens toujours pas d'avoir été malmené à ce point pour cette raison, c'est comme si tout mon être s'était fissuré un peu plus à cause d'eux. Pour le moment, c'est tout bonnement inconcevable que je fasse abstraction, que je tourne la page, je n'ai pas encore tout évacué, j'ai besoin de temps. Et malgré notre amitié de retour, cela ne change rien au fait que je veux m'en aller très loin.  

Spoiler:

Ses réconciliations sont les bienvenues, au vu des problèmes que j'attire toujours plus ou moins trop souvent à mon goût. Mes amis se font toujours du souci à cause de moi sur le sujet, je sais qu'ils ont remarqué à quel point je me suis renfermé, et je n'ai pas envie que mon fardeau en soit également un pour eux. Avec Yoo Jae, cela avait été le cas et je ne l'ai jamais revu ensuite. Bien que je ne sois pas en colère contre lui, ça m'a bien vacciné pour le reste de ma vie. C'est un soulagement qu'il ne repousse pas mon étreinte, je m'arrange afin qu'elle ne dure pas trop longtemps non plus, j'en profite pour m'excuser et le remercier aussi. Après tout ce qu'il a fait, c'est un peu normal à mes yeux. Ensuite je me rassois sur le sol, ou plutôt m'agenouille, il m'écoute à nouveau. Sa réponse me fait à nouveau sourire un peu.

"Tu n'es pas le seul dans ce cas. Je suis certain qu'on peut arriver à s'améliorer. Tu n'as pas spécialement à me donner des explications, ok ?"

S'il m'indique quand je vais trop loin ou sur un sujet délicat, au moins je finirai par éliminer tout ce qui pose problème et je ne le ferai plus. En tout cas, le discret sourire de Byulie fait plaisir à voir. Dans la foulée, je fais cette demande, qui doit lui paraître un peu étrange vu que ce n'est pas dans ses habitudes. Comme on le disait, on ne se connaît pas encore tant que ça sur certaines choses, et tout de suite, j'ai vraiment besoin de réconfort et il n'y a rien de mieux qu'un ami pour cela. Avec le silence qui règne, je me dis que j'aurais peut-être pas dû sortir un truc pareil et que je devrais songer à m'éclipser. Seulement, Han Byul finit par se mettre à mon niveau sur le sol et à passer ses bras autour de moi, m'attirant contre lui. Il n'en faut pas davantage pour que les larmes me montent déjà aux yeux.

"Promets que tu regardes pas ma figure, j'ai pas envie que tu vois ça." Dis-je, d'une voix un peu nasillarde.

En réalité, je ne souhaite surtout pas qu'il voit mon visage tout court. En plus, je ne demande pas au préalable quand j'ai besoin de bras amicaux, je vais les chercher tout seul. Néanmoins, vu la réaction de mon ami la dernière fois, je ne me voyais pas encore m'imposer et le faire fuir. J'enlève mes lunettes qui rejoignent le sol, mon tête orientée vers le bas se colle contre son torse, je le serre dans mes bras aussi et je laisse sortir durant plusieurs minutes toutes les larmes de mon corps. Son t-shirt en est devenu un peu humide. Je peux sentir sa main gentiment me caresser les cheveux, ce qui m'apaise un peu en plus du phénomène de calme intense qui suit toujours une fois qu'on a bien pleuré. Et c'était vraiment ce qu'il me fallait. A sa question, je fais un oui de la tête. Toujours l'oreille contre son torse, j'essuie un peu mes yeux.

"Merci..." Je renifle avant de reprendre. "Lorsque je ne vais vraiment pas bien, je n'ai pas besoin de mots, ils ne m'atteignent pas. Un geste amical est bien plus efficace pour que je me sente déjà mieux."

Je pense que c'est plus simple de donner ma manière de fonctionner dans ce genre de cas de figure. Par contre, il serait bien qu'il n'y soit pas trop confronté non plus car cela signifierait que ma vie est devenue vraiment merdique, ce que je ne souhaite pas du tout. Vidé d'une bonne partie de la tension dans mon corps, je m'essuie le visage avant de remettre mes lunettes et de relever la tête, de le lâcher aussi. A présent, le fait qu'il soit juste en t-shirt alors qu'il est malade me saute aux yeux, pas parce qu'il est assez sexy ainsi, mais bien parce qu'ill pourrait empirer son état. C'est ce qui  me motive à l'aider à se remettre au chaud, le bordant bien comme il faut, avant de m'asseoir à ses côtés.

"Tu dois être mieux maintenant." Mon petit sourire s'éclipse progressivement, je poursuis en murmurant. "Tu sais, je n'ai pas du tout envie de raconter ce qui m'est arrivé ces deux derniers jours. Si je pouvais, j'effacerais ces instants de ma mémoire. Le monde qui nous entoure est vraiment moche..." Soupire de lassitude. "Je me suis fait frapper par plusieurs types à cause de mon orientation sexuelle. Comme toi, je suis gay." Je précise assez vite. "Ma famille l'ignore, peu de mes amis sont au courant et je n'aime déjà pas leur mentir alors leur sortir une excuse bidon pour justifier mon absence et mon état, je n'avais pas la force de le faire, pas en voyant leurs visages alarmés aux traits tirés." Ma tête se secoue un peu. "Plus ça va et moins j'ai envie de rester ici, je voudrais partir loin."

Mon regard se perd dans le vide devant moi. N'importe où mais loin d'ici, à ne côtoyer personne, à ne pas avoir à me cacher, à arrêter d'être en permanence sur le qui-vive, ah oui, je voudrais tellement que ce soit possible. Nous parlons encore un peu avant de nous endormir ainsi. Le lendemain, Byulie va déjà mieux, je l'aide un peu pour aller à la salle de bain. Une fois qu'il a pris une bonne douche, il a déjà bien meilleure mine. Après le repas de midi, il a enfin pu rentrer chez lui, je ne l'ai pas raccompagné cette fois, pas encore prêt à mettre le nez dehors. Je suis vraiment content qu'il soit de nouveau mon ami.

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