Madame Xing, épouse du Monsieur Xing, riche entrepreneurs de Shanghai, en voyant d'affaire à Séoul. La vieille dame était très touchée pour l’association que tenait ce jeune homme d'à peine 25 ans, ce Zhang Jie, qui aidait les Chinois en Corée du Sud à s'adapter et avoir une vie plus paisible, trouver un logement, un emploi. Ce garçon était un ange, et elle l'avait vu immédiatement à son sourire et à sa galanterie lorsqu'il l'avait amené dans ce bar fortement sympathique. Elle lui avait raconté sa vie et il avait eu un vive intérêt pour cette dernière, elle avait pratiquement toujours vécu à Shanghai, elle avait visité Pékin seulement quelques fois, il s'était vivement proposé de lui faire visiter la ville qui l'a vu grandir quand il sera de retour dans ce fabuleux pays qu'est la Chine.

Trop d'émotion quand elle sortit finalement son chéquier, malgré l'air embarrassé de « Jie » qui détournait le regard pour ne pas voir le montant, ne cessant de la remercier, lui rappelant combien elle était généreuse, qu'elle ne devrait pas, qu'ils ont certes besoin d'argent mais qu'il se sent honteux de lui prendre ce don. Mais elle ne l'écoutait pas, bien évidemment, et elle lui remit le chèque entre les mains, plus quelques billets qu'elle avait dans son portefeuille, pour lui et l'enfant qu'il élève seul. Son regard se mit à briller un peu. C'était trop, elle était trop généreuse...

Le regard de la dame se posa sur sa montre hors de prix et elle afficha un petit air étonné. Déjà si tard ! Elle s'excusa à mainte reprise de devoir le laisser, son mari l'attendait sans doute déjà à l'hôtel, il allait la disputer si elle rentrait trop tard. Le « Chinois » s'excusa à son tour, confus de l'avoir retenu et abusé de son temps. Qu'il était imprudent ! Il se dépêcha de sortir avec elle, hélant un taxi pour qu'elle puisse rentrer au plus vite, ne manquant de la remercier mille fois encore avant de laisser la voiture s'en aller, sa main secouant dans le vide, son sourire se dissipa peu à peu. Bordel, il avait cru qu'elle ne bougerait jamais ! Un peu plus et il aurait du appeler la maison de retraite pour signaler qu'une vieille s'était échappée.

Regagnant le bar, Ji Hoon ne retourna pas à la table à laquelle il était installé auparavant, se dirigeant à la place vers une table du fond occupé par un jeune homme, seul depuis le début de la soirée. S'affalant sur une chaise, il s'alluma une cigarette, soupirant d'aise tout en demandant deux bières au serveur.

« J'ai cru qu'elle partirait jamais, c'était incroyable, le besoin qu'à cette femme de parler ! Tu sais que si elle vivait Séoul et qu'elle avait vingt ans de moins, on aurait vraiment de quoi faire avec elle. »

Heureusement qu'il n'en était pas encore à s'intéresser à ce qui était ultra fripé et probablement sec. Remerciant le serveur qui ramenait les boissons, il passa sa main dans ses cheveux, profondément épuisé par cette soirée. Ce serait mentir de dire que le rôle du gentil Zhang ne l'amusait pas, mais quand c'était trop long, ça devenait pénible.
Posant son regard sur Liang, ses yeux s'illuminèrent un peu avec malice tandis qu'il reprit, amuse :

« Alors, j'étais comment ? »

Au fond, il savait qu'il avait été bon, sinon, il n'aurait pas gagné ce petit pactole qu'il fit d'ailleurs discrètement glisser vers son frère, l'enveloppe soigneusement refermé pour ne pas trop attiré l'attention. Quand Liang avait eu l'idée de l’association pour les Chinois, Jihoon avait trouvé ça plutôt stupide, mais il ne devrait plus sous-estimer les idées de son frère. Jamais.

Tout se déroulait comme prévu. Liang prit une gorgée de son verre de jus d’orange avant de tourner délicatement la page du livre qu’il lisait depuis son arrivée dans son café, remontant distraitement les lunettes qu’il portait avant de jeter un regard en direction d’une table un peu plus lointaine, où discutaient une femme plus âgée et un garçon de son âge. Son propre frère. Une fois certain que les choses ne dérapaient pas, il reposa son regard sur les lignes qui se trouvaient sous ses yeux et continua sa lecture sans grand intérêt. Il s’agissait d’un ouvrage qu’il avait déjà lu à plusieurs reprises et qu’il emmenait avec lui lorsqu’il se trouvait dans une telle situation, à devoir superviser les actes de son jumeau, lorsqu’ils mettaient à exécution l’une de ses brillantes idées. Une fois qu’il eut terminé sa boisson, quelques gorgées plus tard, il reposa son verre sur la table, souriant un peu au tintement des glaçons alors qu’il cherchait une fois encore à vérifier que tout se passait bien. Et c’était le cas.

Jusqu’au moment où les deux individus quittèrent la table où ils se situaient, Liang continua à feindre la lecture de son ouvrage et, lorsqu’il vit son frère entrer à nouveau dans l’établissement, il referma le livre et le posa sur la table, un sourire naissant au coin de ses lèvres. Ils avaient réussi, une fois de plus. À croire qu’ils devenaient vraiment bons dans ce domaine, meilleurs qu’ils ne l’avaient jamais été, à vrai dire, et l’aîné en était secrètement fier.

« C’est dans ces moment-là que je suis heureux d’être un rat de bibliothèque. » Affirma-t-il en venant tapoter légèrement sur la couverture du bouquin qu’il avait dans les mains un peu plus tôt. « Une autre fois peut-être. Celle-ci était plutôt facile à atteindre.  »

Parfois, il fallait juste savoir où viser pour obtenir un peu d’argent, sur quelles cordes sensibles jouer. Dans d’autres situations, il était plus difficile d’y parvenir, mais Liang et Ji Hoon savaient généralement dénicher les personnes qui auraient le plus facilement tendance à donner pour une cause ou une autre. Liang s’assuraient qu’ils ne manquaient d’aucun détail, histoire que l’opération se déroule au mieux une fois son frère sur le terrain.

« Mais tu étais excellent. » Répondit-il alors qu’il saisissait l’enveloppe que lui donnait son frère, la rangeant soigneusement dans la valisette qui aurait dû contenir son ordinateur qu’il avait laissé à leur appartement. « Je ne pensais pas qu’elle aurait autant de questions inutiles à poser. Il faudra peut-être prévoir plus de réponses la prochaine fois. »

Ils discutaient aussi ouvertement d’un sujet comme celui-là ? Qui s’en souciait ? Ce n’était pas ce serveur, à qui Liang adressa un large sourire lorsqu’il vint leur apporter leurs bières, qui allait se demander de quoi pouvaient parler deux frères assis confortablement autour d’une table. Tout comme pour eux, l’argent était la seule chose qui les intéressait : ils vendaient des boissons, faisaient leur salaire de cette façon. C’était simplement une manière comme une autre d’obtenir de quoi vivre.

« Elle t’a raconté des choses intéressantes, au moins ? »

Peut-être avait-elle évoqué des personnes, des endroits où il leur serait intéressant d’aller. En général, les conversations qui avaient lieu entre leurs victimes et son frère étaient particulièrement utiles. Ils pouvaient ainsi obtenir des noms de personnes à cibler ou à éviter. Certains étaient, en effet, incroyablement bavard au niveau de leurs proches et de ce qu’ils pouvaient faire dans la vie. Une source d’information incroyable qu’ils ne pouvaient négliger. Cette question posée, l’aîné prit une gorgée de sa bière, histoire de se récompenser un peu.

Leur force, c'est qu'ils se complétaient. Ji Hoon détesterait faire le travail de Liang, élaborer les plans et observer en silence, un livre entre les mains. Il aimait l'action, le contact, charmer directement la personne et concrétiser les missions. La fierté de Liang en général, le motivait aussi. Il aimait appliquer les plans du « grand » frère avec assiduité, que tout soit parfait. Et aujourd'hui, ça avait même été mieux que ce qu'il aurait espéré. En même temps, c'était femme devait être si désespérée.

Excellent ? Un large sourire se forma sur les lèvres du vainqueur de la soirée à ce compliment. Il aimait l'entendre dire, bien qu'il n'avait fait que de suivre ce plan à la lettre et de jouer le rôle qu'on lui donnait. Zhang Jie, son personnage favoris. Un Chinois, si prévenant, poli, courtois, tellement parfait, le gendre idéal. Il était tout ce qu'il n'était pas en réalité et c'était sûrement pour cela que c'était aussi follement amusant. Être quelqu'un d'autre, c'était tellement amusant que le métisse se demandait s'il y avait quelque chose de plus amusant que cela. Non, sans doute pas. Liang ne savait pas ce qu'il ratait, bien qu'il n'était pas non plus exactement lui-même en public non plus.

Pour les questions, par contre, il aurait préféré éviter. Parfois, il n'avait tout simplement pas trouver quoi répondre, mais par quelques formules bateaux, et de beaux sourires, il était parvenu à lui faire oublier cela. Pas sûre que ça marchait toujours, si ça avait été un homme purement hétéro, ça aurait été plus compliqué. Comme le faisait remarquer son frère, pour ce plan , il faudra bien revoir certaines choses.

« Merci !» S'exclama t-il avant d'amener sa cigarette entre ses lèvres, profondément satisfait de sa personne. « J'ai bien noté dans ma tête les questions qu'elle m'a posé, on voit ça demain si tu veux, trouver des réponses cohérentes. Enfin je te laisserais faire ça. »

Planifier, ce n'était pas pour lui, Liang était bien meilleur pour réfléchir aux éventualités. C'était lui le cerveau, lui qui trouvait un moyen de les sauver quand quelque chose capotait. Heureusement, d'ailleurs. À part user de son joli minois et de quelques phrases bien tournées, il ne faisait en général pas long feu. Ah, il pourrait le câliné, ce frère jumeau si intelligent !

Un haussement d'épaule fit guise de réponse. Une vieille dans son genre n'avait jamais rien d'intéressant à raconter, son frère était beaucoup trop optimiste avec leurs victimes. Vraiment. C'était désolant de perdre son temps ainsi.

« Hm... Elle m'a beaucoup parlé de sa petite fille qui étudie à Hong Kong, mais elle est si laide ! T'aurais du voir sa photo, c'est juste horrible. Sinon, on aurait pu s'arranger, je crois qu'elle tentait de me la vendre. Sa famille est riche après tout. » Un petit soupir quitta ses lèvres tandis qu'il écrasa sa cigarette, observant silencieusement son frère, un sourire en coin des lèvres. « Ah et elle a laissé entendre qu'elle parlera de moi à ses amies. Plus de vieilles à charmer, yay~ ! »

Programme charmant, vraiment, il avait si hâte de le faire. Bon, il avait vraiment hâte, il faudra qu'il refasse une petite beauté à Jie pour l'occasion mais il avait hâte lui aussi, indubitablement.

Dans leurs tentatives d’obtenir de l’argent des personnes avec qui ils « travaillaient », rien ne devait être laissé au hasard. Tout devait être soigneusement étudié, ajusté, préparé pour ne pas donner lieu à des hésitations dérangeantes qui auraient pu laisser entendre à leur victime que Ji Hoon n’était pas tout à fait honnête dans ses histoires. Il ne l’était généralement pas, évidemment, et Liang lui-même trouvait que son frère endossait avec brio le rôle de ce chinois, Zhang Jie. Il savait qu’il l’aimait énormément et il n’était pas rare qu’ils le travaillent. Plus que des escrocs, ils étaient de véritables artistes. Liang était le metteur en scène et Ji Hoon, l’acteur principal. Ils étaient excellents et s’amélioraient toujours plus.

Le meilleur dans toute cette histoire était sans doute la naïveté de leurs victimes. Si elles se doutaient de quelque chose, jamais ils ne parviendraient à obtenir d’argent, et il était essentiel qu’ils en aient s’ils souhaitaient en envoyer à leur famille. Pour cette raison, Liang passait beaucoup de temps à étudier les personnes vers qui il allait envoyer son frère, il discutait beaucoup avec ce dernier pour mettre au point des plans et savoir s’il se sentait capable de les mettre en application et, lorsque c’était le cas, ils se retrouvaient dans des situations comme celle-ci. Par chance, ils étaient plus souvent victorieux qu’ils n’échouaient, et le contraire aurait été terriblement fâcheux. Sans doute pour Ji Hoon avant lui. Après tout, il était celui qui se trouvait le plus souvent sur le terrain, celui qui gérait l’aspect relationnel de la chose et, si quelqu’un était à blâmer en cas de souci, il serait certainement celui dont on allait retenir le visage. Ils ne pouvaient pas prendre de trop grands risques. Saisissant sa bière pour la porter à ses lèvres, il hocha légèrement la tête.

« On verra ça, oui. Enfin, surtout les questions utiles, on n’est pas obligés de s’attarder sur les spécificités.   »

Après tout, certaines questions n’étaient pas probables avec tout le monde. Pourquoi s’attarderaient-ils à répondre à des questions auxquelles ils ne devraient pas donner réponse dans le futur ? Liang prit une longue gorgée de bière après ces quelques mots, posant le regard sur le reste de la pièce avant de revenir vers son frère pour s’informer sur le déroulement des choses et les informations potentiellement utiles qu’il avait pu récolter. Il y en avait toujours, même lorsqu’elles semblaient insignifiantes. Quelques petites choses que l’on laissait entendre sans forcément le vouloir. Avec un peu de chance, les babillages de cette vieille fortunée allaient leur permettre de dénicher une personne intéressante à attaquer : pas directement, cependant, car ils ne pouvaient pas s’en prendre deux fois au même cercle dans un intervalle de temps trop réduit.

« Quelle chance. Je vois que ton charme a fait son petit effet, cette fois encore.   »

Un sourire se dessina aux coins des lèvres de l’aîné alors qu’il reprenait une gorgée de bière, sortant de l’autre main son téléphone portable du fond de la poche de sa longue veste, le posant sur la table avant d’activer l’écran et d’y taper le code de déverrouillage, dévoilant le navigateur du mobile encore ouvert sur un profil assez intéressant, avant de le tourner vers son frère.

« Je pense qu’elle sera la prochaine.   » Commença-t-il sérieusement. « C’est une étudiante, mais sa famille a beaucoup d’argent. Je dois encore chercher quelques informations à son sujet, mais j’imagine que ce sera un jeu d’enfant pour toi. Tu es partant ?  »

L’aval de son frère était toujours nécessaire. Il ne pouvait en effet pas le lancer dans un projet trop ambitieux et il ne souhaitait pas lui attirer d’ennuis, alors il prenait toujours en compte son avis. Ils étaient une équipe, fonctionnaient comme un équipe, et il était nécessaire de prendre soin de son coéquipier, encore plus lorsqu’il partageait le même sang.