Toutes les histoires de princesses et de princes débutent par "il était une fois". Papa avait cette habitude de me surnommer princesse, alors peut-être que je devrais commencer de cette manière. Sauf que ces histoires se terminent bien. La princesse se marie avec le prince et il l'emmène jusqu'à son château sur son cheval blanc. J'ai perdu mon roi, la reine semble s'être envolée tandis que celui qui me sert de prince semble avoir perdu foi en toutes ces personnes qui peuplent notre monde. Il ne reste que la princesse pour tenter d'écrire cette histoire. Et j'ai beau chercher partout je ne trouve pas la page finale de ce foutu livre.

Ma naissance aurait pu être banale si je n'avais pas vu le jour un peu plus d'un mois avant la date prévue. La famille Choi attendait leur petite fille pour la fin janvier de l'année 1996. Mon premier cri fut poussé le dix décembre 1995. Maman m'a raconté qu'il s'est mis à neiger quelques heures avant ma naissance. Presque comme un signe de ma venue au monde. Il parait que mon grand-frère ne tenait pas en place. Il voulait absolument me voir et me tenir contre lui. Le doux et affectueux petit Yoo Jae. D'après lui mon premier sourire lui était destiné. Je n'ai aucun mal à y croire. A peine née je semblais lui être liée par une alchimie indescriptible. Une naissance rend toujours une famille heureuse; du moins en théorie. Et c'est ainsi qu'était la mienne. Les Choi étaient véritablement heureux d'accueillir une petite fille dans leur chaleureuse famille. Ma naissance était un bonheur; mais un bonheur éphémère. Comme toutes ces choses que la vie nous donne, cette dernière finit tôt ou tard par les reprendre de force. Qu'on le veuille ou non.

Le malheur et la tristesse n'accablât pas immédiatement notre famille. Nous avions eu droit à douze années de répit. Douze années remplies d'un bonheur presque irréel. Je ne savais pas que la vie finirait par nous l'arracher. J'ai grandi aux côtés de mon aîné. Ayant cinq années de plus que moi il s'estimait en droit de me protéger envers et contre tout. De toujours m'aider et me soutenir. Yoo Jae était bon, attentif et compréhensif. Il aimait le monde qui l'entourait, me communiquant chaque jour sa joie de vivre. Nous étions proches, trop proches. Nous formions deux parties d'un tout. Il était mon âme soeur. Certaines personnes le reprochait à mes parents, mais ces derniers savaient que séparer leurs deux enfants ne causerait qu'une immense peine à ces deux êtres innocents. Ils nous laissaient donc agir à notre guise. Nous étions trop tactiles, trop collés. Au point où je m'en allais dormir avec lui toutes les nuits. Mais tout cela importait peu. Il n'était que mon frère, mon sang. Et celui pour qui j'aurais tout donné.

Ma véritable passion m'a étreinte très tôt. J'aimais dessiner. Il me suffisait d'un papier et de quelques crayons pour me faire sourire. Pour illuminer mon univers. Je pouvais me perdre des heures dans mes oeuvres en faisant abstraction du monde qui m'entourait, m'a-t-on dit. C'est ce que je voulais naïvement faire de ma vie: dessiner. Sauf qu'aujourd'hui tout semble se compliquer... J'aimais danser. Pendant des années j'ai pratiqué la danse classique. La souplesse est tout ce qu'il me reste. Mon grand-frère pouvait rester des heures à me regarder, s'amusant toujours à me taquiner. C'est allongée sur le canapé que je finissais par pleurer. Il me ramenait un verre de lait; et encore aujourd'hui je ne sais pas si je veux boire du lait parce que j'en ai besoin ou parce que je suis triste. D'autres passions se sont ouvertes à moi par la suite, mais jamais elles ne faisaient battre mon coeur comme le dessin le faisait. C'est vers toutes sortes d'art que j'ai finis par m'orienter. L'art en général. L'art permet de tout exprimer. Il n'a pas de langage. C'est juste l'art.

C'est à l'âge de douze ans que la vie a décidé de démolir notre bonheur. Je me souviens parfaitement de cette soirée. Peut-être trop parfaitement. Le policier qui frappe à notre porte. Mon frère qui tente de me bloquer dans son dos. Ma mère qui tombe à genoux face à cet inconnu. Les larmes qui roulent sur ses joues. Mon frère qui laisse ses poingss'abattrent sur le mur. Cet accident de voiture qui m'a enlevé mon père. Mon seul roi s'en était allé sans prévenir, laissant son royaume vidé de toute joie. Vide... C'est ainsi que je me sentais à ce moment précis. J'étais incapable de ressentir la moindre émotion. Elles venaient toutes par vagues, de façon trop violente pour que je puisse les identifier et réellement les ressentir. Les mois qui ont suivi l'accident ont sans doutes étés les plus longs et les plus durs de toute ma vie. Tandis que mon frère sombrait dans les ténèbres, ma mère ne démontrait plus aucune volonté. Mes parents tenaient depuis des années une boutique de fleurs. Toutes les personnes du quartier connaissaient les deux fleuristes Choi et leurs enfants fusionnels. Ils savaient pour l'accident et tentaient de se montrer présent. Mais rien n'y faisait. Cet accident nous a détruit et a tout changé. L'étincelante reine n'est plus que l'ombre d'elle-même, le petit prince joue avec le feu dans ce semblant d'obscurité, tandis que la princesse tente de gérer ce qu'il reste de ce royaume fleuri qu'à battis ce roi trop vite parti.

Aujourd'hui encore il m'arrive de m'asseoir un instant et de laisser mes larmes colorer mes joues en pensant à ce qu'est devenue ma vie. Mon frère vit toujours à la maison. Du haut de ses vingt-quatre ans il travaille pour gagner de l'argent qu'il s'amuse à dépenser je ne sais où avec je ne sais qui. Depuis l'envol de papa il n'est plus le même et nous n'avons cessé de nous éloigner, finissant par devenir deux étrangers. Si nous ne vivions pas sous le même toit je suis certaine que ma route ne croiserait jamais la sienne. Maman... Maman n'a plus le visage lumineux d'antan. Il est creusé par les lignes de ses larmes, par les cernes de ses insomnies et par les rides de ses traits tirés par la tristesse. Je ne la reconnait plus. Elle n'est plus cette femme éclatante qui nous câlinait et nous contait des histoires de princesses et de princes. Elle n'est plus que la fleuriste qui tente de survivre dans un monde où son grand amour n'est plus là. Parce que oui, je sais qu'ils se sont aimés. De toute leur âme, ils se sont aimés. Même si Yoo Jae semble le refuser, l'amour existe bel et bien. Pour ma part, je préfère ne pas y penser. Entre mes cours d'art à l'université, la boutique de fleurs que j'essaie de gérer pour aider au foyer, maman et mon frère qui ne savent s'occuper de rien; j'ai trop de choses à penser pour laisser mon coeur s'ouvrir. Pour le laisser aimer.

Je ne suis pas une vraie princesse papa; je ne peux me permettre d'attendre le prince charmant.

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